Derrière son apparence ludique faussement enfantine, le travail de Zhuang Han est en réalité hanté par une quête des origines, à la fois personnelles, biologiques et mystiques. D’où venons-nous ? Cette question existentielle aux contours illimités autorise l’artiste à osciller entre le macroscopique et le microscopique, entre la naissance même de l’humanité et celle de sa propre personne. D’un point de vue anatomique, la réponse peut paraître évidente, chacun.e d’entre nous arrive dans ce monde depuis le ventre de sa mère biologique. Plus précisément, chacune de nos cellules est la somme, à l’équilibre, des chromosomes de nos deux parents biologiques qui nous transmettent leurs gènes de manière héréditaire. En remontant l'échelle de génération en génération, pointe à l’horizon la naissance de l'humanité. De nombreux récits existent autour de la genèse. De tous ces mythes fondateurs plus ou moins complexes, plus ou moins anthropocentrés, Han décide de s’intéresser au plus normé, au plus répandu et occidental de tous : celui de Adam et Ève. Un couple, banni du paradis, « pères » de la famille nucléaire contemporaine qui nous incombe encore aujourd’hui. Un mythe dans lequel l’artiste se projette pour prolonger la filiation génétique et interroger la cellule familiale. Au final, ces investigations dans lesquelles Han entraîne le spectateur.rice.s par le biais de la narration et du jeu − jeu de rôle, jeu vidéo, jeu interactif ou de construction − amène à questionner la norme, les règles tacites, les modèles à suivre, les cases à cocher ou dans lesquels rentrer et à les contredire. Tous les personnages ou narrations de Han errent, se perdent, doutent, interrogent leur place, leur origine, leur réalité et leur libre arbitre. En tant que personne queer, chinoise, musulmane et diasporique, Han cherche l’origine de la, et de sa, vie pour mieux la déconstruire et pouvoir ainsi renaître à sa propre image. Un processus d’autodétermination et d’acceptation de soi qu’il souhaite transmettre et propager à travers son travail. Dans « Le Laboratoire d’Éden », à la manière d’un architecte qui se prendrait pour Dieu, Han est animé par la construction d’un monde où l’unité de base serait la brique de Lego contrefaite volontairement tordue, fabriquée à l’image des chromosomes et des gènes pour remplacer l’unité de base du vivant : la cellule. Tel un véritable laborantin − parfaitement simulé, il crée et manipule ses nouveaux gènes et chromosomes, questionne l’éthique de la manipulation génétique et de l’assignation, tout en ayant un rêve : celui de construire, et faire construire, des mondes utopiques à mi-chemin entre le paradis perdu et Legoland : un nouvel Éden. Un monde pluriel et libre, lié à l’enfance, où les règles ne seraient pas encore incorporées ou tout du moins tordues. Un monde vers lequel Han tend dans l’ensemble de sa pratique où il cherche constamment à désapprendre, à déborder, à libérer le geste, notamment pictural, et à se, et nous, réinventer. Un monde où, en sous-texte, il est toujours difficile de faire la distinction entre le vrai et le faux, entre le modèle et la contrefaçon, entre le réel et ses antonymes, mais où toute existence est valide.