FR
« (…) j'estime que le temps est sans importance et quand je pense aux feuilles d'automne et à la neige, au printemps et à l'été, aux oiseaux et aux abeilles, je me rends compte que le temps est effectivement sans importance ; et pourtant les gens attachent une telle importance aux horloges. (…) »Leonora Carrington, Le cornet acoustique 
Comme on entrerait dans une histoire en ouvrant la première page de couverture d’un livre, De la fenêtre, le lustre est tombé pousse à s’engager dans l’univers fabuleux de Lucie Postel. À pas de loup, nous sommes invité.e.s à pénétrer chez elle − dans son refuge imaginaire, ou plutôt son imaginaire mût en refuge. En elle, nous voilà plongé dans un espace sombre, baigné d’obscurité, où l’on se sent à la fois si étranger et si familier. Là, au fil de notre exploration, des signes − fenêtre, plancher, papier peint, rideau, tableau, pendule et abat-jour − tapissent le lieu pour nous rassurer, ou au contraire nous confondre. L’illusion d’un intérieur, de celui de l’artiste, de l’intérieur de sa maison d’enfance, de ses souvenirs ou peut être des nôtres, est reine. L’illusion d’un refuge, d’une cabane, ou peut-être d’un chalet dans lequel se mettre à l'abri et empiler ses souvenirs. Un espace liminal, ni tout à fait réel, ni tout à fait imaginaire ; ni tout à fait intérieur, ni tout à fait extérieur, duquel et auquel on peut jeter un œil pour y sonder nos profondeurs. À l’intérieur de ce leurre fait de bois, de textiles et de papier, nous attendent d’ailleurs d’autres intérieurs, mais aussi d’autres extérieurs, qui eux-mêmes contiennent parfois d’autres extérieurs ou d’autres intérieurs, et ainsi de suite. Du refuge, à la fenêtre, au paysage, au décor, un processus de mise en boucle et de mise en abîme joue la carte de la désorientation. Hors-champ, dans le champ ; dehors, dedans ; devant, derrière ; haut, bas ; sol, plafond ; vrai, faux ; droite, gauche ; ici, là ; nos sens sont sans dessus-dessous. Le faux plancher fait de papier monte sur le mur qui n’est en réalité qu’une vitrine pour donner l’illusion d’une architecture dans laquelle regarder l’intérieur composé du même faux plancher de papier mais qui donne l’illusion, si on le regarde de plus près, d’une surface d’eau mise en mouvement qui ne coule pourtant pas à la verticale, pourrait-on y lire. Ou encore : une porte qui donne sur une pièce trop petite sans fenêtre mais dont les motifs des rideaux sont composés de tableaux semblables à des fenêtres donnant à voir différents paysages représentant des espaces intérieurs et extérieurs dans lesquels d’autres tableaux semblables à des fenêtres nous entraînent dans d’autres paysages intérieurs et extérieurs pour finalement revenir dans cette pièce trop petite qui contient pourtant l’illusion d’une maison de plusieurs étages qui est en réalité l’illusion d’une horloge représentant un refuge d’où l’artiste s’imagine entrevoir le monde. Superpositions de plans et d’horizons, les scénographies que Lucie Postel construit nous racontent des histoires qui entremêlent les temporalités, jouent avec les échelles et hybrident les mondes. Plus proche de la mise en scène théâtrale que de l’écriture linéaire, ses histoires murmurées à demi-mot nous envoûtent tout en nous laissent suffisamment de place pour devenir les nôtres. Elles tricotent et détricotent nos imaginaires respectifs, à la rencontre de l’extra-ordinaire. 

Comme le phrasé inaugural d’un conte, De la fenêtre, le lustre est tombé est bien le récit d’une fenêtre et d’un lustre qui tombe, mais pas n’importe lesquels. Obnubilée par l’image de l’horloge à coucou qui la hante depuis l’enfance, Lucie Postel nous plonge dans l’univers enchevêtré de ce théâtre miniature qui fait apparaître ses acteurs ponctuellement en fonction du temps qui passe. À la fois objet, miniature, réplique de chalet, nid, instrument de mesure, de musique, imitateur de chant d’oiseau, automate, décor, scène et acteur, l’horloge à coucou est un phénomène complexe doté d’une grande capacité narrative. Dans ses souvenirs, Lucie Postel se rappelle que les horloges de sa maison d’enfance étaient toutes arrêtées − comme suspendues dans le temps, mais tristement silencieuses. Pour De la fenêtre, le lustre est tombé, Lucie Postel imagine remettre en route la mécanique de ces horloges. Tic tac, la machine s’emballe. La fenêtre s’ouvre et tel un diable en boîte : le lustre tombe. Nous sommes ainsi amené.e.s à suivre le rythme effréné et supposément inéluctable du tic tac des coucous qui s’envole, à poursuivre des trotteuses en forme de fleurs qui nous entraînent inexorablement dans une épopée à la fois surréaliste et loufoque. Guidé.e.s par des êtres duels − mi-réel, mi-imaginaire − toutes et tous, un.e à un.e, habité.e.s et animé.e.s par le temps, nous voilà dans un mécanisme bien vivant où s’entremêlent humains, animaux et végétaux. Défilent alors des paysages propices à l’errance dans lesquels s’inscrivent ces créatures hybrides. Forêts, marécages, brouillards, étendues, horizons se succèdent pour nous faire rentrer en nous-même, au plus profond de notre inconscient. Finalement, c’est un voyage introspectif que Lucie Postel nous propose, celui qu’il est parfois dur d'emprunter mais qui peut nous révéler de monstrueuses merveilles. Ouvrez les yeux, aiguisez vos sens, baissez la garde et laissez-vous porter par les histoires que Lucie Postel se raconte et nous raconte : ces rêveries de mémoires, de fantômes, de rebonds, d’hybridations et d’unions.
EN
" (...) I think that time is unimportant and when I think of the autumn leaves and the snow, the spring and the summer, the birds and the bees I realize that time is unimportant, yet people attach so much importance to clocks.(...) " Leonora Carrington, The Hearing Trumpet
Just as one would enter a story by opening the first page of a book, De la fenêtre, le lustre est tombé draws us into the fabulous world of Lucie Postel. We are invited to enter her home stealthily - her imaginary refuge or rather, her imaginary transposed into a refuge. In her home, we are plunged into a dark space, bathed in obscurity, where we feel at once so foreign and so familiar. There, as we explore, signs - window, floor, wallpaper, curtain, painting, clock and lampshade - line the place to reassure us or on the opposite, to confuse us. The illusion of an interior, which belongs to the artist, to the house of her childhood, to her memories or perhaps to ours, is king. Just like the allegory of the refuge, cabin or perhaps a cottage, in which one can take shelter and pile up one's memories. A liminal space, not quite real, not quite imaginary; not quite inside, not quite outside, from which and towards which we can peek to plumb our depths. Inside this lure made of wood, textiles and paper, other interiors await from us, as well as exteriors, which sometimes contains other inner and outer spaces, and so on. From the shelter to the window, the landscape, the setting, a process of looping and mise-en-abîme plays the card of disorientation. Off-screen, in-screen; outside, inside; in front, behind; up, down; floor, ceiling; true, false; right, left; here, there; our senses are completely confused. There, the fake wooden floor made of paper climbs on a wall - that is actually a shop window - giving the illusion of an architecture that invites us to observe its interior made out of the same false floor which, if we pay attention, gives the illusion of a moving water surface that does not flow vertically. The door opens onto a room that is too small and windowless, covered with curtains whose pattern integrates window-like paintings, opened onto interior and exterior landscapes that include smaller windows inviting us towards new spaces, before sending us back to a cramped room that paradoxically, gives the illusion of a multi-storey house: the evocation of the clock, symbolising the refuge from which the artist imagines herself seeing the world. Superimposed planes and horizons, the scenographies that Lucie Postel constructs tell us stories that intermingle temporalities, play with scales and hybridize worlds. Closer to theatrical staging than to linear writing, her whispered stories bewitch us while leaving us enough space to become ours. They knit and unknit our respective imaginations, in search of the extra-ordinary.

Like the opening statement of a Tale, De la fenêtre, le lustre est tombé is the story of a window and a falling chandelier, but not just any old ones. Obsessed with the image of the cuckoo clock that has haunted herself since childhood, Lucie Postel immerses us in the tangled world of this tiny theater that makes actors appear punctually according to the passage of time. Being simultaneously an object, a miniature, a replica of a cottage, a nest, a measuring instrument, a musical instrument, a birdsong imitator, an automaton, a set, a stage and an actor, the cuckoo clock combines a high degree of complexity with a great narrative capacity. In her memories, Lucie Postel recalls that the clocks in her childhood home were all stopped – as if suspended in time, but sadly silent. For De la fenêtre, le lustre est tombé, she imagines the mechanical reactivation of these clocks. “Tick ​​tock” the machine goes into overdrive. The window opens and like a devil in a box: the chandelier falls. We are thus led to follow the frantic and supposedly inevitable rhythm of the ticking of cuckoo clocks, carried away by the flower-shaped second hand that leads us inexorably into a surreal and crazy epic. Guided by dual beings − half-real, half-imaginary − all of them, one by one, inhabited and animated by time, are immersed in a living mechanic where humans, animals and plants coexist. Landscapes conducive to wandering within which these hybrid creatures fit, then scroll by: forests, swamps, mists, expanses, horizons follow one another, to invite us entering ourselves and penetrate the depths of our unconscious. Finally, it is an introspective journey that Lucie Postel proposes to us, a journey that is sometimes hard to undertake, but which can reveal monstrous wonders. Open your eyes, sharpen your senses, lower your guard down and let yourself be carried away by the stories that Lucie Postel tells herself and us: daydreams of memories, ghosts, rebounds, hybridizations and unions.
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